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L'adaptation (modernisée) du roman de Simenon. Un homme, sa femme, sa maîtresse. Une chambre d'hôtel. Un juge, un interrogatoire. Quel est le crime ? Qui est le coupable ? 

The Homesman

de Tommy Lee Jones

avec Tommy Lee Jones, Hilary Swank

 

 

 

Drame historique, 2h02 (États-Unis).

Sortie le 18 mai 2014.

Mary Bee Cuddy vit seule dans une petite ville de l'Ouest, où trois femmes sont devenues folles. Accompagnée par un homme qui lui doit la vie, elle est chargée de les conduire en Iowa pour qu'elles soient prises en charge.

  M A I   2 0 1 4  

  Et l'AP du mois : 

 

 

Transcendancede Wally Pfister

La Chambre bleue

de Mathieu Amalric

avec Mathieu Amalric, Stéphanie Cléau, Léa Drucker

 

 

Policier, 1h16 (France).

Sortie le 16 mai 2014.

The Homesman

Un peu déçue, surtout par Hilary Swank : j’ai réalisé que je suis entrée dans le film plus ou moins au moment où elle en sort. Je ne l’ai pas trouvée très crédible en pionnière du XIXe, et il faut dire que le ridicule de ses demandes en mariage cheveux-sur-la-soupesques n’aidait pas non plus... De même, Tommy Lee Jones joue avec une sorte de désinvolture au début, comme si lui aussi mettait du temps à entrer dans le film et à le prendre au sérieux. Du coup je suis restée à l’extérieur pendant la grosse première partie, avec l’impression de regarder une reconstitution historique assez bien faite, mais sans y adhérer émotionnellement (incapable de "consentir à suspendre mon incrédulité", pour mal paraphraser Coleridge). 

 

[Attention : la suite contient des spoilers !]

 

Il est rare de pouvoir identifier avec précision l’instant où on entre dans un film, mais là j’ai vraiment senti le basculement, le moment où j’ai commencé à le trouver crédible. Il s’agit de la scène où Georges Briggs s’apprête à continuer la route seul, en abandonnant les trois folles : au lieu de rebrousser chemin poussé par les traditionnels scrupules hollywoodiens (de ceux qui jaillissent d’un coup de baguette magique, révélant fort opportunément le bon fond du personnage), ce sont les folles qui le suivent, instinctivement, somnambuliquement. Alors que je pressentais avec lassitude une facilité convenue, j’ai été ravie de voir mon attente déçue, et c’est à cet instant que je suis entrée dans l’histoire. Dommage que cela ne se produise, disons, qu’aux 3/4 du film... 

 

Mais ensuite, j’ai pu pleinement savourer le très beau plan de l’hôtel en flammes, la suite du voyage jusqu’à la femme du pasteur (Meryl Streep) qui accueille les trois femmes, et le départ de Georges Briggs qui a un peu changé mais de manière réaliste et non pas hollywoodienne. Par ailleurs, cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y ait rien à savourer dans la première partie : la chevauchée désespérée de Mary Bee Cuddy lorsqu’elle est perdue est, par exemple, assez intense. Quant aux trois folles, elles sont plutôt convaincantes (Grace Gummer au premier chef) et il y a quelques scènes à la limite du soutenable. On peut regretter qu’elles restent à l’arrière-plan tout le long du film, à l’exception d’une qui a un rôle plus actif (Grace Gummer encore).

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La Chambre bleue

Filmé en 4:3, le film commence par une séquence très esthétisée dans la chambre bleue éponyme : cadrage décalé, gros plans, personnages qui semblent sortir du cadre… Le ton est donné d’emblée : c’est un film d’auteur, et assumé comme tel. Le sentiment d’irréalité, d’artificialité qui se dégage de cette scène se trouve en outre justifié juste après, lorsqu’on comprend qu’il s’agit d’un souvenir, d’une reconstruction mentale a posteriori dans le cadre d’un interrogatoire. 

 

D’ailleurs, je crois que la dernière fois que j’ai vu du 4:3, c’était dans The Grand Budapest Hotel, à nouveau pour évoquer le passé : le 4:3 semble être au cinéma le temps du souvenir. Pourquoi ? Peut-être parce que ce cadre presque carré fait l’effet d’une toile. Le champ de vision du spectateur se trouve tronqué et il prend subitement conscience de l’espace, et de la maîtrise qu’a l’artiste sur cet espace. Il ne nous montre que ce qu’il veut que nous voyions, ayant de fait le même pouvoir que nous avons chacun sur notre passé. Ici, le personnage de Mathieu Amalric raconte des événements dont il est le seul, avec sa maîtresse, à connaître la vérité. Eux seuls savent ce qui s’est passé dans cette chambre, lui seul sait ce qu’il a entendu, compris, dit et pensé : ce petit espace lui appartient, il le contrôle et peut le récréer comme il le souhaite.

 

L’esthétisation du début n’est donc pas seulement le fait du réalisateur, elle est aussi celle du personnage, et elle est sensible dans les mots autant que dans les images. Le couple parle comme on écrit : un dialogue qui préfère la poésie à l’illusion de la spontanéité, et cette diction très articulée, théâtrale, qui caractérise Mathieu Amalric (et qui a visiblement contaminé sa compagne Stéphanie Cléau). En un mot : c’est une très belle séquence d’ouverture, affirmant peut-être un peu trop lourdement son intention artistique, mais installant d’emblée une atmosphère mystérieuse, évanescente.

 

Cependant, je dois avouer m’être progressivement lassée de tout cela, et surtout des mots qui l’emportent sur le reste : l’interrogatoire devient pesant (comme un vrai, j’imagine) et on peine à croire que le film ne dure qu’1h15 tellement le temps est étiré. L’autre jour, en masterclass au Forum des Images, André Dussollier a insisté sur la différence entre le cinéma français, un cinéma d’auteur et de mots, et le cinéma américain, un cinéma d’action et d’émotion. La Chambre bleue est un exemple parfait de ce cinéma français du Verbe tout-puissant : tout commence avec un pillow talk à demi-conscient, quelques paroles échangées après l’amour sans y penser, puis vient ce long interrogatoire où chaque mot est scrupuleusement récité, noté, répété, décortiqué, analysé. Il s’agit en fait quasiment d’un double huis clos, dans la chambre puis au commissariat, il n’y a donc pour ainsi dire que les personnages et leur dialogue (même les actions n’existent pas par elles-mêmes, mais à travers les mots qui les racontent).

 

Je crois ne pas prendre trop de risques si je dis, sans preuve mais sans doute, que les dialogues sont mot pour mot ceux de Simenon (et pas seulement le "- On finirait par s’habituer. - À quoi ? - À nous deux." crucial dans le film et repris partout dans les synopsis et les interviews). N’ayant pas lu le livre, je ne peux pas évaluer l’adaptation elle-même, mais le film a en tout cas toutes les qualités d’un "film français" (un beau texte, une esthétique travaillée, des personnages simples, normaux au sens où ce ne sont pas des héros), mais aussi, à mon sens, certains de ses défauts (trop de texte, un rythme lent).

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Maps to the Stars

de David Cronenberg

avec Julianne Moore, Mia Wasikowska, Evan Bird, John Cusack, Robert Pattinson

 

 

Drame, 1h35 (États-Unis).

Sortie le 21 mai 2014.

Un enfant-star qui tourne mal, ses parents, une actrice sur le déclin prête à tout pour obtenir un rôle, une jeune fille défigurée par un incendie qui débarque à L.A., et les fantômes de leurs passés qui reviennent les hanter.

Maps to the Stars

Avec Maps to the Stars, j’ai eu une expérience très similaire à celle que j’ai eu pour The Best Offer : il y a un tournant à un moment, qui donne à un film par ailleurs fascinant et magistral une fin qui semble ne pas vraiment lui convenir. Ce n’est pas aussi radical que le changement de genre de Tornatore, mais il y a clairement un virage dark assez déroutant qui s’opère en cours de route. 

 

Tout commence comme la satire du microcosme hollywoodien à laquelle on s’attend, avec deux personnages principaux que seul le talent des interprètes sauve de la caricature : l’enfant-star qui a connu le succès trop tôt, et l’actrice vieillissante qui vit dans l’ombre de sa mère et est prête à tout pour obtenir un rôle. Drogue et argent pour l’un, ego et hypocrisie pour l’autre, ils se partagent les vices classiques de Hollywood. Soulignons au passage que c’est une vraie performance de la part d’Evan Bird (Benjie, le gamin) et de Julianne Moore (Havana Segrand, l’actrice), que de réussir à donner une crédibilité immédiate et totale à ces stéréotypes un tantinet excessifs. John Cusack, en psychologue obsédé par la promo de son nouveau livre, y parvient à mon sens beaucoup moins bien...

 

Vous l’aurez compris, si ce n’était qu’une satire de Hollywood, ce serait une mauvaise satire. Même avec une actrice aussi incroyable que Julianne Moore, on ne peut pas construire une démonstration convaincante en se basant sur des cas extrêmes et des clichés convenus. Fort heureusement, ce n’est pas (qu’)un documentaire à charge sur la face sombre de Tinseltown. L’étrange Agatha Weiss (Mia Wasikowska) fait irruption dans la vie des personnages et, avec elle, le passé, le refoulé, la folie. Mêlant schizophrénie et inceste dans une atmosphère teintée de fantastique, Maps to the Stars est avant tout un thriller gothique, à la Melancholia, rythmé par des apparitions de fantômes et la répétition incantatoire de quelques vers de "Liberté" (le poème d’Éluard).

 

Gothique, car la mort est omniprésente, fantasmée, esthétisée, surnaturelle. Et le tournant dark dont je parlais au début, c’est évidemment - semi-spoiler (on parle de Cronenberg) - quand il y a passage à l’acte : le thriller gothique devient drame morbide. En soi, ce n’est pas incohérent avec le film, mais j’aimais bien la tension d’avant l’irrémédiable, quand la pulsion de mort était visible mais contenue. La fin de Benjie et Agatha est parfaitement dans le ton, mais le reste est trop brutal et excessif à mon goût.

 

Cela dit, si la fin ne m'a pas entièrement convaincue, l'ensemble reste excellent, une construction très efficace, intense, et où le spectateur est maintenu longtemps dans cette position délicieuse de devoir construire le sens par lui-même, à partir de ce qu'il voit, de ce qu'il entend. Et après ce film, il est clair que le poème d’Éluard, à la fois prière et sortilège, ne résonnera plus jamais tout à fait de la même manière...

 

« On all flesh that says yes

On the forehead of my friends

On each hand that is held out

I write your name Â»

 

 

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